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LA LOUVE DE CORNOUAILLE
PROLOGUE


Bretagne, vers l’an 1070…

La porte de la chapelle se referma sur le visiteur. Pétrifié par ce qu’il venait d’apprendre, Konogan, évêque de la ville de Kemper1, resta un long moment immobile, le visage blême. Puis, reprenant ses esprits, il tituba vers l’extérieur, vers le jardin qui jouxtait la cathédrale, comme si le saint lieu où il officiait depuis plus de vingt ans lui était devenu hostile. S’appuyant d’un bras tremblant sur le mur de granit, il se mit à vomir. Un jardinier se précipita aussitôt à son secours.

1. Kemper : nom breton de Quimper.

— Monseigneur ! Que se passe-t-il ?

Le prêtre leva la main pour le rassurer, puis vomit de plus belle. Le jardinier le contempla d’un œil à la fois désolé et affolé. Monseigneur n’était plus très jeune, mais encore bien gaillard. Peut-être avait-il mangé quelque chose de mauvais. La perspective qu’il pût être malade à cause de ses légumes l’angoissait, lui qui y apportait tant de soin. Mais l’évêque reprit son souffle et lui tapota l’épaule d’un geste apaisant.

— N’aies crainte, mon ami, souffla-t-il d’une voix sourde, cela va passer. Dieu m’apporte déjà son aide.

L’homme s’éloigna non sans lui jeter un regard inquiet. Konogan lui adressa un sourire un peu crispé. Puis il ferma les yeux et tenta de retrouver son calme. Malgré toute l’affection qu’il lui portait, le pauvre jardinier ne pouvait être d’aucun secours. Konogan aurait aimé se confier, partager avec quelqu’un les horreurs dont il venait d’être informé. Mais cela lui était défendu : quels que fussent les secrets appris lors d’une confession, il était formellement interdit de les trahir. Le confesseur d’une reine avait ainsi péri dans d’horribles tourments plutôt que de révéler au roi ce que son épouse lui avait confié dans le secret de la confession.

Konogan avait entendu nombre d’histoires effrayantes au cours de sa longue carrière religieuse. Cette fois pourtant, il avait l’impression d’avoir confessé Satan en personne. Il connaissait désormais le responsable des crimes abominables qui ensanglantaient le pays depuis quelques années. Malheureusement, la loi de l’Eglise lui imposait de garder ce trop lourd secret pour lui seul. Bien pire encore, il avait lu dans le regard sombre de son interlocuteur que cette confession le réjouissait. L’autre le fixait comme un fauve contemplant sa proie tandis qu’il lui narrait par le détail les supplices innommables qu’il faisait subir à ses victimes. Il avait pris à cette narration ignoble un plaisir pervers, comme s’il était fier de ses sinistres exploits. Son plaisir était d’autant plus intense qu’il savait que jamais Konogan n’irait révéler ce qu’il lui confiait. Cette confession insoutenable avait beaucoup duré, tant était longue la liste de ses méfaits. L’évêque s’était attendu à tout moment à le voir se métamorphoser en un être terrifiant, à la mâchoire hérissée de crocs tranchants, la peau couverte d’un pelage épais, au mains terminées par des griffes acérées, image selon laquelle on se représentait habituellement ce genre de créature. Mais il ne s’était rien passé. L’homme s’était contenté de l’épier de son regard perçant. Konogan était trop bouleversé pour répondre quoi que ce fût. Il avait seulement balbutié:

— Je ne peux pas vous donner l’absolution.

Avec un petit ricanement, l’autre avait répondu qu’il s’en passerait, puis il était parti sans oublier de le saluer avec une obséquiosité hypocrite. Konogan avait cru entendre l’écho d’un éclat de rire cynique entre les murs glacés. Il ne dormirait guère la nuit suivante.

Lorsque les nausées furent un peu calmées, il revint dans la cathédrale, déserte à cette heure matinale, s’agenouilla devant l’autel et se signa plusieurs fois, nerveusement, comme pour se laver de l’abjection. Comment Dieu pouvait-Il permettre à de telles abominations d’exister ?

Il aurait voulu agir, mettre un terme aux agissements de ce monstre, mais il s’en sentait totalement incapable. Et même s’il avait eu le droit de révéler ce qu’il avait appris, qui l’aurait cru ? L’autre le savait.

Une chose était sûre désormais : la lycanthropie existait. Konogan avait étudié ce sujet inquiétant à cause du bon St Ronan, accusé à tort de se transformer en loup. Une cabale sans doute lancée contre lui par le Démon. Cette histoire remontait à plusieurs siècles et beaucoup pensaient qu’elle n’était qu’une légende, même si une ville portait aujourd’hui son nom : Lok’Ronan : le pays de Ronan. De nombreuses histoires couraient sur son compte, mais il avait laissé le souvenir d’un homme bon et pieux. Accusé de maux innommables par ses détracteurs, le jugement de Dieu l’avait innocenté.

L’homme qui venait de partir n’avait rien à voir avec St Ronan, bien au contraire. Rien ne l’empêcherait de poursuivre ses crimes. Le sang de nombreuses innocentes coulerait encore sur la terre de Bretagne. Et lui, Konogan, survivrait en détenant le terrible secret du criminel.

Mais s’il était incapable d’agir, qui le serait ? Seule une intervention divine pourrait détruire le démon.

Dans ce cas, que fallait-il penser de cette prophétie étrange qui courait par le pays, et qui affirmait que ce monstre serait tué par une jeune fille ?

A SUIVRE...


 
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