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PROLOGUE


Samedi 7 juillet 1984
L’angoisse qui s’était emparée d’Alicia se muait insidieusement en une panique incontrôlée, proche de l’hystérie. Elle dut faire un violent effort sur elle-même pour calmer les battements de son cœur emballé. Elle ignorait depuis combien de temps elle était retenue prisonnière. Elle ne voyait rien. On lui avait noué un bandeau autour des yeux, si serré qu’elle ne pouvait même pas tenter de le faire glisser. Ses poignets et ses chevilles étaient entravés, et une corde la liait à une sorte de pilier aux arêtes blessantes. Les liens la maintenaient dans une position inconfortable et douloureuse ; elle ne pouvait ni se lever ni s’allonger complètement. Une forte odeur de moisi et de renfermé imprégnait l’endroit, un relent de vieille cave et de bois pourri, mêlé à une puanteur de crottes de rats. Il n’y avait aucun bruit, pas même le trottinement de petits rongeurs, ce qui la rassurait quelque peu. Elle s’attendait à entendre un bruit de pas. Quelqu’un allait venir. On allait venir la chercher, lui expliquer pourquoi on l’avait enlevée. Elle l’espérait et le redoutait à la fois. Celui qui avait fait ça n’avait certainement pas de bonnes intentions. Une sueur froide lui glissa le long de l’échine. Dans son esprit surgirent des images insoutenables de filles violées, torturées, puis égorgées ou massacrées. Mais elle n’avait pas envie de mourir. Elle le refusait de toutes ses forces. Elle avait dix-sept ans. Elle avait des projets, un petit ami qui l’aimait et qu’elle aimait. Elle venait de décrocher son baccalauréat avec mention très bien.
Alors… pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifiait ?
Partagée entre la panique et la colère, elle poussa un cri terrible, comme pour se libérer de l’étau qui lui comprimait la poitrine. Peut-être quelqu’un l’entendrait-il et viendrait à son secours. Elle hurla, hurla encore. Seul le silence lui répondit. Elle était seule. Irrémédiablement.
Elle ne comprenait pas. Il ne se passait jamais rien à Marcilly. Jamais rien de grave en tous cas. Il y avait des crimes, des viols ailleurs, mais pas ici ! Pas à Marcilly ! C’était une petite ville calme de Touraine où tout le monde se connaissait. Qu’avait-elle à redouter ?
Pourtant, quelqu’un l’avait agressée hier soir, lorsqu’elle avait quitté le gymnase après son entraînement !
Elle aurait aimé passer la soirée avec Cyril, mais celui-ci était retenu à Tours par un match important. Cyril était un petit champion. Il lui avait proposé de l’accompagner, mais elle avait refusé. Elle savait qu’après le match, qu’il avait toutes les chances de gagner, il devrait rester faire la fête avec ses copains. Elle n’avait aucune envie d’entendre parler tennis pendant des heures après le match, en compagnie des camarades de son club. Elle-même ne jouait pas. Son truc, c’était la danse. Elle avait donc profité de son absence pour répéter les pas qu’elle avait mis au point en vue du spectacle qu’elle préparait pour le 15 août, date de la fête de Marcilly.
Elle était la première danseuse du groupe. Elle avait demandé à sa seconde, Adèle Archambaud, la fille du pharmacien, de s’entraîner avec elle, mais elle s’était désistée, prétextant des trucs importants à faire. En réalité, elle n’avait pas envie de se retrouver seule avec Alicia. D’une nature jalouse, elle s’affichait souvent comme sa rivale. Alicia n’y attachait aucune importance. Elle n’avait jamais considéré la danse comme une compétition, mais comme un art où les mouvements des danseurs devaient se conjuguer afin de composer un ensemble harmonieux. L’ego n’avait pas sa place dans l’expression artistique. Il fallait s’effacer derrière ce que l’on créait. Mais Adèle ne l’avait pas compris. Tant pis pour elle.
Ce soir, elle lui en voulait de l’avoir lâchée. Si elles avaient été toutes les deux, l’agresseur inconnu n’aurait pas osé s’attaquer à elles. Tandis que là… elle était sûre d’avoir affaire à un pervers qui l’avait guettée sans qu’elle s’en aperçoive, sans doute depuis plusieurs jours. Il avait attendu un moment propice pour s’emparer d’elle. Ce soir, l’occasion avait été trop belle.
Retrouvant un semblant de calme grâce à un violent effort de volonté, elle essaya de se remémorer ce qui s’était passé, espérant découvrir un indice, le début d’une explication. Le gymnase était situé sur la rive nord, un peu en dehors de la ville, sur les hauteurs. Il fallait parcourir deux ou trois cents mètres pour parvenir aux premières maisons. Mais elle connaissait les lieux depuis qu’elle était toute petite et ne craignait pas de s’y aventurer le soir. Surtout un samedi, au début du mois de juillet. A la nuit tombée, il y avait du monde dans les rues, des touristes qui déambulaient devant les spectacles de rue, des jeunes qui écumaient les cafés, les pubs ou la boîte de nuit de Marcilly. Bien sûr, le gymnase était désert lorsqu’elle avait pratiqué son entraînement, mais cela ne l’effrayait pas. Elle était née ici, elle connaissait la petite ville comme sa poche.
Il n’était pas encore onze heures lorsqu’elle s’était décidée à rentrer chez elle, où ses parents l’attendaient. Elle aurait pu choisir de rejoindre ses copains au Las Vegas, la boîte de nuit, mais Cyril n’était pas là et elle n’avait aucune envie de passer son temps à repousser les avances maladroites des garçons de son âge, les Norbert, Amaury, Jean-Noël, Christian et autres, dont certains venaient comme elle de passer leur bac. Tous l’avaient obtenu… avec ou sans mention. Certains lui avaient proposé d’aller faire la fête à Tours, mais elle n’avait pas accepté, pour les mêmes raisons. Quant aux autres, à cette heure-là, ils devaient encore être au pub de la plage, où ils se réunissaient les soirs d’été. Ils y retrouvaient les filles de ces vacanciers de la capitale qui privilégiaient le calme de la campagne à la folie débridée des stations balnéaires. Cela n’était pas toujours du goût de ces demoiselles, qui auraient préféré les plages et les boîtes de la Côte d’Azur. La campagne, même tourangelle, très peu pour elles. Elles affichaient toujours des petits airs supérieurs et méprisants qui agaçaient profondément Alicia. Elle ne supportait pas leurs mines blasées, l’atmosphère enfumée du café et les plaisanteries graveleuses des garçons.
En sortant du gymnase, elle avait emprunté la petite route de terre longée sur un côté par une haie de buis dont la taille approximative laissait à désirer. Hubert, l’employé de mairie censé s’en charger, était l’un des plus fervents admirateurs du jus de la treille produit dans la région. L’agresseur avait dû se dissimuler au creux d’un buisson. Il savait qu’elle devait passer par là et l’avait attendue. Ensuite… elle se souvenait d’une main plaquée sur son visage, un linge humide imprégné d’un produit à l’odeur désagréable… de l’éther, peut-être. Puis plus rien.
Elle s’était réveillée dans ce lieu inconnu, les yeux bandés et les membres attachés. Un mal de crâne désagréable lui vrillait la tête, probablement provoqué par l’anesthésiant. Depuis, elle attendait le retour de son ravisseur. Elle n’avait aucune idée du temps écoulé depuis son enlèvement. Elle était recrue de fatigue. Outre cette migraine qui ne s’effaçait pas, elle avait mal aux yeux à cause du bandeau, mal dans les muscles en raison de son entraînement et de sa position incommode.
L’odeur de moisi trahissait une cave, peut-être une cabane. Ce salaud voulait abuser d’elle. Pourtant, elle avait l’impression d’être seule. Pourquoi ? Après l’avoir amenée dans cet endroit apparemment isolé, il aurait eu tout le loisir de profiter d’elle. Par moments, elle en venait à espérer qu’il se montre. Au moins, elle pourrait se défendre, lui parler, tenter de le convaincre de la libérer.
Elle tenta à nouveau de se débarrasser de ses liens, sans succès. Elle était solidement ligotée. Il était sans doute bien plus de minuit. Ses parents allaient s’apercevoir qu’elle n’était pas rentrée. Ils allaient donner l’alerte. On allait venir la délivrer…
A moins qu’ils se soient déjà endormis. Ils lui faisaient confiance. Elle se remit à hurler de plus belle, ne réussissant qu’à perdre le souffle. L’angoisse regagnait peu à peu du terrain. Peut-être son ravisseur était-il présent, là, tout près, et se réjouissait de la voir paniquer. Parfois, un sursaut de colère s’emparait d’elle, et elle se mettait à l’insulter. Sans provoquer la moindre réaction. Elle crut qu’elle allait devenir folle. Elle tendit l’oreille, guettant une respiration, une présence. Rien. Alors, où était-il ? Que lui voulait-il ?
Soudain, une autre peur s’insinua en elle. Il fallait impérativement qu’elle sorte d’ici. Car il y avait une chose que celui qui l’avait kidnappée ignorait sans doute : si elle restait enfermée pendant plusieurs heures, elle risquait de mourir. Elle éclata en sanglots. Tout mais pas ça…
Mais bientôt, les symptômes qu’elle connaissait trop bien commencèrent à se manifester. Prise de panique, elle se remit à hurler. Sans résultat. Elle était seule. Irrémédiablement.
Face à la mort qui rampait lentement en elle.

Le mardi matin suivant, un couple de randonneurs accompagnés de leur chien, un joyeux terre-neuve de deux ans, s’approcha de cet étang situé au fin fond de la forêt de Marcilly, que l’on appelait le lac Noir, à cause de la couleur sombre de ses eaux. D’une surface relativement modeste, il s’infiltrait sous forme de bras marécageux dans les profondeurs de la forêt, constituant une sorte de labyrinthe inextricable que l’été ne parvenait jamais à assécher complètement. Boudé par les pêcheurs, il ne recevait de visites que celles des randonneurs les plus téméraires. Les lieux étaient sinistres. Une ancienne légende locale prétendait que certains des couloirs fangeux disparaissant sous les frondaisons ténébreuses menaient aux portes oubliées de l’Enfer. L’endroit n’était qu’un cul-de-sac. Une fois sur place, il n’y avait pas moyen de contourner ce lac étrange et mystérieux. On était obligé de revenir sur ses pas.
Ayant perçu l’odeur aquatique bien avant ses maîtres, le chien aux pattes curieusement palmées se précipita vers l’étang dans lequel il plongea à grand fracas – sans se soucier de la présence éventuelle d’un quelconque démon. Restés en arrière, l’homme et la femme l’entendirent soudain aboyer d’une manière étrange.
— Qu’est-ce qu’il a ? demanda le mari.
Ils hâtèrent le pas pour rejoindre le terre-neuve, qu’ils trouvèrent en arrêt devant quelque chose flottant à quelques mètres de la rive. La femme poussa un hurlement strident, puis se détourna pour vomir. Pétrifié, son mari contempla la chose découverte par son chien : le corps d’une jeune fille d’environ 16 ou 18 ans.
Les gendarmes, arrivés très vite sur les lieux, n’eurent aucun mal à l’identifier : son nom était Alicia Germain.

Deux jours plus tard, sur la rive de ce même lac Noir, d’autres promeneurs repéraient un nouveau cadavre : celui d’un homme d’une cinquantaine d’années, un politicien promis à un grand avenir, mais dont le nom avait été mêlé à un scandale peu de temps auparavant.
Il s’appelait Alain Lauragais…




1




Lundi 7 avril 2014
En ce début d’après-midi, Vincent Lauragais, fils d’Alain Lauragais, ne pensait pas du tout à son père, mort trente ans auparavant dans des circonstances troubles. Son esprit était encore plein des souvenirs de la nuit tumultueuse partagée avec Vicky, sa voluptueuse maîtresse des Charentes. Une brouille les avait séparés deux semaines plus tôt, mais ils s’étaient réconciliés de belle manière. Vincent avait quarante-cinq ans, Vicky en avait dix-huit de moins. Elle possédait un corps affolant, une peau satinée à l’odeur subtile dont il ne pouvait plus se passer… et une imagination débordante au lit. Il était fou d’elle. Et éreinté…
Il l’avait rencontrée à l’été précédent, alors qu’elle participait à un défilé de mode. Vicky était mannequin. Il avait immédiatement craqué et tout fait pour la séduire. Ce qui ne lui avait guère posé de problèmes. A son âge, Vincent promenait toujours un air d’éternel adolescent fragile qui faisait fondre les femmes. Cela n’aurait pu être qu’une banale aventure de vacances, mais avec le temps, il s’était créé entre eux une véritable liaison, faite de fâcheries et de retrouvailles mouvementées, de grands moments de passion et d’affrontements homériques qui distrayaient beaucoup les voisins.
Vicky aurait pu s’installer à Paris. Mais la concurrence y était trop rude. Aussi demeurait-elle dans sa province maritime, où elle pouvait régner sur les jeunes louves intéressées par le mannequinat. Elle organisait des défilés, des manifestations dont elle s’attribuait toujours le rôle principal. Tous les hommes étaient à ses pieds.
Ce qui flattait beaucoup son amant en titre.
Royan était à près de trois cents kilomètres de Marcilly. En voiture, cela représentait plus de trois heures de route. La distance aurait pu finir par miner leur relation, mais Vincent était pilote et possédait son propre avion, un Cirrus SR 20, qui lui permettait de rallier la côte en un peu plus d’une heure. Le Cirrus avait beaucoup contribué à attirer la demoiselle. Bien sûr, ce n’était pas le jet d’un grand businessman, mais tout de même, à Royan, cela en imposait.
La tête encore pleine d’images brûlantes, Vincent acheva son contournement de l’agglomération de Tours par le sud. Il s’engagea dans la vallée du Cher et commença à amorcer sa descente. Ce fut à ce moment-là qu’il s’aperçut que quelque chose clochait. Les commandes de son avion ne répondaient pas correctement.

A quelques kilomètres plus loin, plongée dans ses pensées, Karine Delorme suivait un chemin qui serpentait nonchalamment au milieu des champs, dont la plupart étaient couverts de ces vignes qui avaient fait la réputation de la petite ville de Marcilly sur Cher. Les ceps présentaient déjà de petites feuilles d’un vert tendre. Plus haut, en direction de la forêt, on devinait une loge de vigne. A l’origine, ces modestes constructions en pierre de Bourré servaient de refuge au viticulteur. Il y rangeait ses outils, y passait la nuit lorsqu’il travaillait tard. Certaines étaient équipées d’une cheminée ou d’un four à pain. Beaucoup possédaient une seconde pièce pour le cheval. La mécanisation avait rendu ces petites demeures inutiles, et la plupart étaient désormais en ruines. Mais parfois, les vignerons mettaient un point d’honneur à les entretenir en souvenir des anciens. C’était le cas de celle-ci, qui appartenait au père Béraud, président de l’association des vignerons de la ville.
Montée sur son cheval, Viking, Karine laissait sa monture flâner sans but, au gré de sa fantaisie. Viking nourrissant une passion débordante pour l’eau, elle avait évité de longer le Cher, dans laquelle le cheval s’aventurait à la moindre provocation. Cela ne gênait pas Karine pendant les chaleurs de l’été, mais c’était beaucoup plus contrariant en ce début du mois d’avril. Même si le soleil était au rendez-vous, le temps restait plutôt frisquet. En juillet et en août, elle prévoyait la chose en montant en maillot de bain, ce qui ne manquait pas de susciter l’intérêt des promeneurs mâles, la plastique de la jeune femme ne laissant rien à désirer. Près du cheval, Baky, un Golden Retriever de quatre ans, batifolait, infatigable, en quête de mulots ou de lapins, voire des premiers papillons. De temps à autre, il se tournait vers sa maîtresse à laquelle il adressait un sourire ravi, toute langue rose pendante ; puis il repartait de plus belle.
Après avoir déposé sa fille, Laureline, à l’école primaire, Karine avait profité du temps magnifique pour s’offrir une évasion en pleine nature. Laureline possédait également sa monture, une demoiselle poney prénommée Fanette, et elle aurait volontiers accompagné sa mère sur les chemins de campagne. Elle n’était pas de trop bonne humeur en rejoignant sa classe. Karine l’avait consolée en lui faisant remarquer que les vacances de Pâques approchaient et qu’elle pourrait bientôt monter à son tour.
Au-delà de la loge de vigne, la jeune femme passa à côté de la maison de celui que l’on surnommait l’Ermite. C’était une demeure ancienne, isolée, au toit de tuiles plates, qui ne devait pas comporter plus de trois ou quatre pièces. Elle s’attendit à voir l’homme surgir sur le pas de sa porte pour la saluer. Elle arrêta Viking devant le jardin et attendit quelques instants. Personne ne se manifesta. Il devait être parti faire quelques courses.
Cet Ermite intriguait beaucoup Karine. D’aucuns l’assimilaient à un clochard, parce qu’il vivait chichement, mais il n’était pas pauvre. C’était plutôt un marginal un peu anar qui préférait se tenir à l’écart du monde. On lui donnait une soixantaine d’années. Beaucoup ignoraient qu’il avait une activité professionnelle. Karine était l’une des rares personnes avec qui cet homme taciturne et bougon acceptait parfois de parler. Elle avait ainsi découvert un homme cultivé. Il travaillait en tant que traducteur pour des maisons d’édition parisiennes. Toutefois, ces échanges demeuraient limités. La plupart du temps, l’Ermite restait replié sur lui-même et fuyait les passants.
Ayant constaté l’absence du personnage, Karine reprit son chemin, humant avec délices les odeurs printanières qui montaient du sol sous les premières tiédeurs. À part quelques moutons qui paissaient dans un pré, il n’y avait âme qui vive. Tout au plus distinguait-elle à l’horizon, flanqués d’un rideau d’arbres, les bâtiments d’une ferme accrochés à mi pente de la douce colline bordant la vallée, à peu de distance de la forêt. La ferme des Girardet.
Le bruit des sabots de Viking, le chant des oiseaux et le sifflement du vent léger dans les branches couvertes de feuilles vert tendre composaient une symphonie apaisante. Karine avait besoin de s’accorder quelques jours de repos. Elle venait d’achever un manuscrit, La Peau sur les Eaux, mais elle souhaitait, avant de l’envoyer à son éditeur, prendre un peu de recul et le relire une dernière fois dans une ou deux semaines, avec un regard neuf. Elle décelait ainsi parfois certaines erreurs. Elle devait aussi s’occuper de la publication de son nouveau roman, intitulé Une Main à couper, dont le service de presse et les interviews allaient l’amener à monter à Paris. Elle déjeunerait avec Xavier Delapierre, patron des Editions du Carré d’As. Un homme étonnant, un complice et un ami qui avait remplacé le grand frère qu’elle n’avait jamais eu.
Tout à coup, son attention fut attirée par un bruit lointain, un ronronnement provenant de l’ouest. Elle écarquilla les yeux, ne vit rien dans un premier temps. Puis une tache noire apparut au-delà de la colline, en direction de Tours. Un petit avion de tourisme. L’inquiétude s’empara d’elle. Son vol était anormal. Pour une raison inconnue, l’appareil partait de droite et de gauche, comme si le pilote ne parvenait plus à le contrôler. Il ne devait pas voler à plus de soixante-dix, quatre-vingts mètres du sol. L’aérodrome de Marcilly n’était pas très éloigné, à peine quatre ou cinq kilomètres vers l’est. Mais s’il continuait à perdre ainsi de l’altitude, il n’y parviendrait pas. L’estomac de Karine se noua.

À bord du Cirrus, Vincent Lauragais vivait un moment de panique totale. Les commandes ne répondaient plus et l’avion tanguait dangereusement. Soudain, quelque chose lâcha ; l’avion bascula et piqua vers le sol. Dans un geste désespéré, Vincent tenta d’utiliser le parachute de cellule dont son appareil était équipé, et qui permettait de diminuer grandement l’impact au sol en cas de chute. Mais, là encore, la manœuvre ne fonctionna pas. Vincent comprit alors qu’il allait mourir. Il vit un champ de vignes se rapprocher à une allure vertigineuse.
Au même instant, dans un éclair de lucidité, il sut pourquoi il allait mourir. Une soirée équivoque, le visage d’une personne qui n’aurait jamais dû se trouver là. Un échange de regards qui n’avait duré qu’une fraction de seconde. Des yeux dans lesquels il avait décelé un éclair de haine auquel, plus tard, il n’avait accordé aucune importance. Il aurait pourtant dû y lire sa condamnation à mort.
Il hurla de terreur et de rage.

A moins de trois cents mètres, Karine poussa un cri d’épouvante. Comme dans un cauchemar, elle vit l’avion percuter le sol avec une violence inouïe. Pétrifiée, elle s’attendit à voir la carcasse exploser comme dans les films d’action américains. Mais il ne se produisit rien. Réagissant immédiatement, elle lança son cheval au galop vers l’endroit du sinistre. Peut-être les occupants étaient-ils encore vivants…
Elle fut rapidement sur place. L’appareil s’était abattu dans un champ de vignes, qu’il avait détruites sur plus de trente mètres. L’engin était tordu, broyé, et l’arrière du fuselage avait en partie pénétré la cabine. Karine mit pied-à-terre et s’approcha avec circonspection, surmontant la peur qui lui enserrait les entrailles à l’idée de ce qu’elle allait découvrir. Elle avait suivi des cours de secourisme, mais elle doutait qu’ils lui soient très utiles dans de telles circonstances. Une odeur d’essence lui emplit les narines. Elle marqua un temps d’arrêt, puis recula en voyant des flammèches apparaître dans la cabine. Elle n’eut que le temps d’apercevoir un corps inerte, brisé et ensanglanté à l’intérieur. L’instant d’après, les décombres de l’appareil s’embrasèrent. Un souffle infernal projeta Karine sur les fesses. Viking poussa un hennissement de terreur et s’enfuit, aussitôt suivi par Baky qui couinait comme un chiot. Karine se releva en tremblant de tous ses membres. Hébétée, elle mit plusieurs secondes à retrouver ses esprits. Impuissante, elle ne put détacher son regard de l’incendie qui dévorait ce qui restait de l’appareil. Elle espérait que l’occupant de l’avion avait péri sur le coup. Apparemment, il était seul. Le cœur broyé par l’anxiété, elle guetta l’écho d’un cri de douleur. Mais il n’y avait plus rien que les craquements sinistres des flammes. Il avait dû être tué par le choc.
Karine essuya ses yeux brouillés de larmes. Le souffle court, elle s’écarta et sortit son portable.

A SUIVRE...
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