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L'OR DU SOLOGNOT
PREMIER CHAPITRE
Château de Marolles, Sologne, automne 1845
— Éponine, pourquoi on peut pas la voir, la Malnoue ?
— Parce qu’on peut pas la voir, ma drôline. C’est comme ça et c’est tant mieux ! C’est une rivière malfaisante !
— Mais… le Cher et la Loire, on peut les voir. Si on voit pas la Malnoue, comment on est sûr qu’elle existe ?
La voix de la cuisinière devint lugubre.
— On la voit pas, mais elle est pourtant bien là, sous nos pieds. Même en ce moment où il fait grand beau. Elle rôde près des maisons, elle se glisse sous la forêt, sous les marais et les étangs. C’est comme un serpent gigantesque. Les nuits de grand vent, on l’entend gronder derrière l’âtre. Et lorsque le vent souffle trop fort, elle fait exploser le fond de la cheminée et elle emporte tout sur son passage, les gens, les bestiaux, les meubles, et même les murs de la maison. On ne retrouve jamais rien. La Malnoue est capable d’engloutir une carriole et son attelage. Il y a pas très longtemps, elle a avalé un troupeau de douze bœufs.
Laetitia frémit. Âgé de huit ans, c’était une petite poupée aux cheveux châtains et aux yeux couleur de malachite très pâle. Des yeux qui pour lors affichaient un mélange de frayeur et de curiosité intense. Passionnée par le récit d’Éponine, elle avait arrêté de manger sa part de tarte aux myrtilles, qu’elle tenait en l’air à quelques centimètres de sa bouche. D’une voix mal assurée, elle demanda :
— Qu’est-ce qu’ils deviennent ? Elle les mange ?
La cuisinière soupira :
— Personne ne sait. Certains disent que la Malnoue s’écoule sous la terre jusqu’au grand océan qui s’étend très loin vers le couchant. Là, elle rejette tout ce qu’elle a dévoré. Mais il n’y a plus que des bouts d’os sans âme. Le guiabe1 s’en est emparé. C’est pour ça qu’on dit que la Malnoue est sa fille.
1. Le diable
Laetitia hocha la tête d’un air dubitatif. Que fallait-il croire ? L’oncle Maxime, lui, disait que tout ça, c’était des racontars de bonne femme. Mais Laetitia aimait bien écouter Éponine lui raconter ses « histouères » à faire dresser les cheveux sur la tête… surtout lorsqu’elle était assise bien au chaud, au cœur de la grande cuisine du château, près de la cheminée. Laetitia était la fille du maître des lieux, Auguste Destremeaux. Souvent, elle était accompagnée de ses inséparables compagnons, deux petits paysans de Marolles, Jean et Sylvain. Mais ce jour-là, ils étaient absents. Auguste n’aurait pas accepté leur présence. Laetitia poursuivit :
— Éponine, parle-moi du trésor !
La cuisinière soupira en secouant la tête.
— Quelle sornette t’a-t-on encore racontée à propos de ce trésor ?
— Jean et Sylvain, ils disent que mon grand-père l’a trouvé et que c’est pour ça qu’il est devenu riche.
— Des sornettes ! C’est bien ce que je disais ! Ton grand-père a fait fortune avec la laine de ses moutons. Tes amis sont des jacasseux qui débagoulent n’importe quoi. Personne n’a jamais trouvé ce trésor. C’est qu’une légende.
— Alors pourquoi ils m’ont dit ça ?
— Ils répètent ce que leurs parents racontent par mauvaise jalousie. Autrefois, ton grand-père était un paysan, comme eux. Mais il a fait fortune très jeune, et ça ne plaît pas à tout le monde. Il est mort bien avant que tu viennes au monde, mais ça n’a pas éteint la jalousie pour autant. Et aujourd’hui, c’est ton père qu’ils détestent, parce qu’ils sont obligés de travailler pour lui.
— Donc, le trésor est toujours caché quelque part. S’il existe vraiment, peut-être que je pourrais le trouver, moi…
Éponine se pencha sur l’immense table de bois de la cuisine et pointa un doigt conséquent sur Laetitia par-dessus les plats et les casseroles de cuivre.
— Ecoute-moi, ch’tite drôlesse ! Personne n’a jamais trouvé ce trésor. Mais beaucoup sont morts en le cherchant, dévorés par la Malnoue. S’il existe, elle le protège bien. Alors, je voudrais pas qu’il t’arrive malheur. Et même… il vaut mieux éviter d’en parler, ajouta-t-elle en essuyant ses mains sur son tablier.
Elle baissa la voix et ajouta en roulant des yeux inquiets :
— On dit que cet or est maudit.
— Maudit ? Ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire qu’il a été fabriqué par le Guiabe lui-même. Si jamais tu le trouvais… il faudrait pas y toucher. Tu attirerais la malédiction sur toi.
Laetitia enfourna avec détermination un gros morceau de tarte aux myrtilles dans sa bouche. Elle n’insista pas. Cependant, son intuition lui soufflait que la cuisinière ne lui disait pas tout. Elle savait autre chose, dont elle ne voulait pas parler.
Blandine, la nurse de la petite, intervint :
— Mademoiselle, vous devriez cesser d’ennuyer Éponine avec ces histoires. Elle va avoir beaucoup de travail avec les invités de votre père. Ils vont commencer à arriver.
Laetitia se tourna vers elle et déclara sur un ton sans appel :
— Ça alors, ça m’est bien égal. J’aime pas ces gens-là !
Blandine lui adressa un regard chargé de reproches. Pourtant, il n’était pas question pour Laetitia de revenir sur son opinion. Elle acheva sa part de tarte et croisa les bras, affichant un air buté destiné à décourager toute tentative de discussion. Le cocher, Arsène Lupeau, assis à l’autre bout de la table, éclata d’un gros rire joyeux, à l’image de sa panse généreuse, drue comme fesse de jument. Il aurait bien ajouté qu’il partageait l’avis de la petite, mais les oreilles de l’intendant, Sévère Grandier, ne traînaient jamais bien loin, et il valait mieux garder son opinion pour soi. Seule la fille du maître pouvait se permettre ce genre de remarque, à condition toutefois que ce soit hors de la présence paternelle.
— Pourquoi les détestes-tu ? demanda doucement Éponine.
— Ils me font peur. Ils s’adressent à vous, les domestiques, comme si vous étiez des chiens.
Éponine secoua la tête d’un air résigné.
— C’est le lot des « boirons1 », ma drôline. Les maîtres sont les maîtres, et les domestiques les domestiques. Les invités vont passer quelques jours au château, à cause de la chasse.
1 . les serviteurs
— Je n’aime pas la chasse. De toute façon, les enfants n’y participent pas. Je ne les verrai donc pas.
Blandine rectifia :
— Cette fois pourtant, vous allez les rencontrer. Votre père désire vous présenter dès demain, à l’heure du déjeuner.
Laetitia ouvrit des yeux effarés.
— Il faudra que je mange avec eux ?
Blandine la rassura :
— Oh non, tranquillisez-vous. Vous reviendrez prendre votre repas ici. Mais il m’a prévenue de vous préparer demain matin pour cette présentation.
— Je me demande bien pourquoi, riposta la petite. Mon père ne s’est jamais intéressé à moi.
Blandine tenta de prendre un air sévère.
— Mademoiselle Laetitia ! Ne parlez pas de monsieur votre père de cette manière. Monsieur tient à ce que vous fassiez bonne figure à ses invités. Il va donc falloir vous comporter comme une petite fille modèle.
Laetitia lui répondit d’un sourire charmeur qui désarma la nourrice. Une petite fille modèle… La chose n’allait pas d’elle-même. Bien qu’elle fût la fille du châtelain, Laetitia avait tout d’une petite sauvageonne qui passait une bonne partie de son temps en compagnie des gamins du village de Marolles. A une époque où la bourgeoisie avait coutume d’avoir un seul enfant afin de ne pas scinder l’héritage, mais au contraire, par alliance, de réunir les fortunes de deux familles, Auguste Destremeaux avait ardemment souhaité un garçon, qui perpétuerait son nom et lui succéderait, chose à laquelle il attachait une très grande importance.
Ce fut une fille.
Frustré et furieux de se voir contrarié dans ses désirs, Auguste tint rigueur de cette naissance à son épouse, la douce Hortense. Il se désintéressa de la petite Laetitia, dont pourtant tout le monde s’accordait à dire qu’elle était le plus beau bébé que la Terre eût jamais porté. Sauf lui. Avoir eu une fille était une trahison. Auguste ne supportait pas l’idée que son nom allait s’éteindre avec lui, puisque Laetitia porterait celui de son futur mari. Il affectait d’orthographier son nom : d’Estremeaux, s’appropriant ainsi une particule qui reflétait son admiration pour la noblesse et son appétence à en faire partie. Il avait d’ailleurs engagé un homme spécialisé dans la généalogie auquel il avait laissé entendre, moyennant une grasse rémunération, qu’il serait fort satisfait s’il débusquait dans ses ancêtres quelque individu au sang bleu. L’homme s’échinait depuis à éplucher les arbres ancestraux, mais n’avait découvert jusqu’à présent que des paysans ou des drapiers. A la grande déconvenue d’Auguste qui refusait cependant d’abandonner tout espoir.
En raison de la règle de l’enfant unique, il avait renoncé à avoir un fils. Cette sotte d’Hortense était bien capable de lui faire une deuxième fille. Ce désintérêt eut deux conséquences, plutôt bénéfiques pour les habitants du château. Tout d’abord, Auguste se concentra sur ses entreprises, situées dans les régions de Romorantin et de Blois, et passa moins de temps au château. Hortense ne songea pas à s’en plaindre. La mauvaise humeur constante de son mari l’épuisait, mais elle était trop docile pour oser la lui faire remarquer. Elle avait été élevée dans une école religieuse très stricte destinée à préparer les petites filles de la bourgeoisie à mener la vie d’une bonne épouse discrète et effacée. La contestation n’y avait pas sa place et les bonnes sœurs avaient tôt fait de mater les moindres velléités de rébellion. La seconde conséquence fut pour Laetitia une liberté quasi totale de mener sa vie comme elle le souhaitait. Elle passait beaucoup de temps avec les enfants du pays, qui la considéraient comme une sorte de petite princesse, ce dont elle se trouvait fort aise.
Laetitia partageait ainsi son temps entre les leçons de calcul et d’écriture que lui prodiguait Hortense, puisqu’il n’était pas d’usage que les filles allassent à l’école, celle-ci étant réservée aux garçons. Laetitia savait que, lorsqu’elle aurait douze ans, elle quitterait le château pour suivre l’enseignement de l’institution religieuse qui avait déjà accueilli sa mère. Aussi n’était-elle guère pressée d’atteindre cet âge.
Pour satisfaire quelque secrète vengeance, Hortense laissait volontiers sa fille vagabonder en compagnie de ses petits camarades, sous la surveillance de leurs parents, qui tous l’aimaient beaucoup et la choyaient en conséquence. Lorsqu’elle était enfant, Hortense avait été confinée dans la demeure bourgeoise parentale, à Romorantin. Elle n’avait pas le droit de sortir, sinon dûment accompagnée par une domesticité stricte et sans fantaisie. Elle avait étouffé entre les murs d’une maison triste où le rire lui-même était considéré comme une incongruité. Dotée d’une imagination débordante, elle n’avait pu l’exprimer et s’était réfugiée dans ses rêves et dans les livres qu’elle lisait en cachette, des récits de voyage et des romans discrètement prélevés dans la bibliothèque de son père.
A douze ans, elle avait quitté l’austère demeure pour se retrouver enfermée entre les hauts murs de l’institution catholique pour jeunes filles Sainte-Clothilde, à Blois, dont elle était sortie, à dix-huit ans, en 1825, pour se retrouver mariée, sans que l’on eût songé un instant à lui demander son avis, à un homme qui avait dix ans de plus qu’elle, et qui possédait la plus confortable fortune de la ville. Le père d’Hortense était satisfait : riche négociant de Blois, il avait lui-même conclu cette union avec son futur gendre, qui, à vingt-huit ans, dirigeait déjà ses nombreuses entreprises d’une poigne de fer. La mère d’Hortense était satisfaite : sa fille allait faire honneur à l’éducation qu’elle lui avait donnée. Auguste était satisfait : Hortense était la fille d’un homme jouissant d’une fortune considérable lui aussi. Et, comme lui, il était royaliste, et enchanté d’avoir de nouveau un roi sur le trône de France en la personne de l’intransigeant Charles X. Sa jeune épouse était très jolie, ce qui ne gâtait rien, bien que cet aspect de la question ne revêtît pas une grande importance à ses yeux.
Tout le monde était satisfait. Sauf Hortense… Mais elle s’était résignée, comme on lui avait appris à le faire.
Juste après la mort de son père, en 1822, Auguste Destremeaux avait acheté le château du petit village de Marolles, situé en plein cœur de la Sologne. Ce château faisait sa fierté. Il datait du XVIe siècle, de cette époque tumultueuse où les rois préféraient la douceur du ciel ligérien à celui de Paris. Bien sûr, le château de Marolles – promptement rebaptisé d’Estremeaux par son nouveau propriétaire – n’avait pas la grandeur fastueuse de Chambord, d’Amboise ou de Chenonceaux, mais il avait de l’allure et de l’élégance. Un parc immense l’entourait, auquel il convenait d’ajouter trois cents hectares de terres louées en fermage et plus de huit cents hectares de forêt giboyeuse où Auguste aimait à organiser de grandes chasses d’automne. Cerfs, daims et chevreuils y prospéraient, de même que de nombreux sangliers. Au grand dam des éleveurs de moutons.
Afin de témoigner de sa nouvelle condition de châtelain, Auguste y avait emmené vivre sa jeune épouse. Hortense aurait pu être heureuse dans cet univers vaste et sauvage, où son esprit imaginatif trouvait enfin un espace à sa mesure. Mais son mari ne l’avait épousée que pour perpétuer son nom. L’amour n’avait aucune place dans leur union et elle l’avait très vite compris. Sa nuit de noces avait été une corvée, que, par bonheur, Auguste n’avait pas souvent renouvelée. Il n’était pas porté sur les jeux d’alcôve, qu’il considérait comme avilissants et uniquement destinés à la procréation.
Auguste était toujours de mauvaise humeur. C’était chez lui une seconde nature. Croyant jusqu’à la bigoterie, il avait fait remettre en état la petite chapelle du château et exigeait du curé local, le père Chabrier, un brave homme aux idées plutôt larges, qu’il vînt célébrer la messe chaque dimanche en son château. Comme il se montrait généreux envers les œuvres, le prêtre avait accepté sans barguigner.
Auguste n’était pas pressé d’avoir un enfant. Mariée en 1825, Hortense avait dû patienter douze ans avant que son mari se décidât à lui faire l’héritier unique dont il rêvait. L’opération ne fut pas une partie de plaisir, mais elle porta ses fruits. Moins de deux mois plus tard, Hortense, désormais âgée de trente ans, se retrouvait enceinte. Pendant toute sa grossesse, elle fut choyée et traitée comme une reine, surtout par les domestiques, heureux d’avoir bientôt un bambin à gâter dans la grande demeure. Auguste lui-même se montra prévenant, ce qui ne lui ressemblait guère. Aussi, lorsqu’il s’avéra que le garçon espéré était une fille, il entra dans une colère noire, rendant sa femme responsable de la chose. La naissance de Laetitia mettait un terme à ses ambitions concernant son nom.
L’orage passé, Hortense se découvrit enfin heureuse. Bien qu’elle fût croyante elle aussi, elle désapprouvait les excès de zèle de son mari. Sa nature généreuse lui avait montré de la religion un visage différent, celui de l’amour du prochain et de la charité. Hortense débordait d’une tendresse qu’elle ne pouvait pas offrir à un époux qui considérait ce sentiment comme une dangereuse faiblesse. L’arrivée de la petite Laetitia lui offrit l’occasion de laisser s’exprimer ce trop-plein d’amour. Auguste passant le plus clair de son temps loin de Marolles, Hortense avait pu instaurer dans le château une atmosphère chaleureuse dont tout le personnel s’accommoda fort bien. Aussi la vie s’écoulait-elle avec douceur au château « d’Estremeaux ».
Sauf quand le maître y revenait.
Hortense passait beaucoup de temps avec sa fille. Elle prenait plaisir à lui enseigner le calcul, l’écriture, un peu d’histoire et de sciences naturelles. Elle avait avec elle de longs bavardages, lui lisait des livres. Mais elle la laissait aussi galoper dans la forêt et les marais en compagnie des petits paysans de Marolles. C’était une manière de revivre une jeunesse différente, au travers des escapades de sa fille. Elle-même aimait parcourir ses terres, montée sur sa jument, l’un des rares présents que son mari lui eût fait. Hortense ne savait pas monter en arrivant au château. Mais elle avait toujours été attirée par les chevaux. Auguste, qui tenait beaucoup à ce que son épouse l’accompagnât à la chasse, avait engagé un maître cavalier pour elle. Elle s’était très vite révélée une excellente élève et, pour une fois, avait donné satisfaction à son mari quand elle avait exécuté une démonstration de ses nouveaux talents devant lui. C’était l’une des rares fois où elle avait vu son visage s’éclairer d’un sourire. En récompense, il lui avait offert une belle pouliche blanche, baptisée Artémis. C’était avant la naissance de Laetitia.
Toute petite, celle-ci avait appris à monter à son tour, et, à huit ans, elle possédait sa propre monture, un poney à sa taille appelé Hermès. En compagnie de sa mère, la fillette parcourait les chemins forestiers et les sentes des marécages. Laetitia étonnait souvent Hortense en lui parlant des personnes et des lieux rencontrés, sur lesquels elle savait beaucoup plus de choses qu’elle. Elle tirait ces enseignements de ses équipées en compagnie des autres gamins du village. Situé à la frontière de deux mondes, celui de la forêt et celui des landes marécageuses, Marolles opposait deux populations, celle des forestiers et des bûcherons, et celle des éleveurs de moutons, qui occupaient les landes à la végétation arbustive.
Laetitia régnait sur ces deux mondes comme une petite reine. Bien sûr, elle était la fille du châtelain, mais elle avait aussi beaucoup de charme et de gentillesse, et les paysans avaient à cœur de l’inviter dans leur masure. On lui donnait des « mademoiselle Laetitia » longs comme le bras, on lui offrait des gâteaux, des fruits, des « poires du curé ». Laetitia parlait le patois local sans difficulté.
Cependant, lorsqu’Auguste était de retour, il n’était plus question de courir les chemins et les étangs. La fille du maître ne devait pas se commettre avec le bas peuple. Laetitia avait appris à prendre son mal en patience. Elle passait alors son temps dans la cuisine d’Éponine, car sa mère n’était plus guère disponible. Son père exigeait sa présence près de lui.
Auguste demandait rarement à voir Laetitia et se souciait peu de sa santé. S’il ordonnait qu’elle fût présente à sa messe dominicale et en profitait toujours pour lui adresser quelque reproche sous des prétextes futiles, il la laissait tranquille par ailleurs. Elle était trop jeune pour prendre ses repas avec ses parents. Cela ne contrariait nullement la petite, qui préférait de loin l’atmosphère chaleureuse et alléchante de la cuisine.
Cette fois pourtant, Auguste désirait présenter sa fille à ses invités. Le soir venu, lorsque sa mère vint lui donner le baiser du soir, Laetitia voulut en savoir plus.
— Mon ange, ton père ne m’a fourni aucune explication, comme à son habitude. Il m’a seulement dit qu’il voulait te présenter à ses amis, demain, juste avant le déjeuner. Moi non plus je ne comprends pas pourquoi. Il s’intéresse si peu à toi…
— Cela me fait peur, maman.
Hortense lui caressa la joue avec tendresse.
— Ne t’inquiète pas. Tu n’auras pas à parler. Garde seulement les yeux baissés, afin de ne pas provoquer sa colère.
— Bien, maman.
Sa mère partie, Laetitia fut longue à trouver le sommeil. La perspective de se trouver seule face à toutes ces grandes personnes qui parlaient un langage qu’elle ne comprenait pas l’effrayait.
A SUIVRE...
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