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SITE OFFICIEL DE BERNARD SIMONAY
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PHENIX
PREMIER CHAPITRE


Rien ne vit là-bas.
Le jour, elles paraissent dormir, assoupies dans un sommeil minéral et tragique. Un vent chaud et sec souffle en permanence de leurs étendues désertiques. L’haleine des génies, disent les paysans. Au soleil, leur couleur est indéfinissable. C’est une palette de gris, de bruns, de rouges qui se mêlent et s’entrecroisent, ponctués çà et là par la tache incandescente d’un affleurement de lave.
Rien n’y vit. Ni plantes ni animaux. Pas un chant d’oiseau n’y fait vibrer l’air. C’est le royaume des dieux minéraux. Un royaume qui s’étend d’un bord à l’autre de l’horizon, et que l’on ne peut franchir sans perdre sa vie et son âme.
La nuit, elles brillent d’une lumière étrange qui leur a valu leur nom. En été, les orages y font naître des apparitions fantastiques, effrayantes, illuminées d’éclairs éblouissants, comme si les dieux invisibles voulaient prendre corps.
De même, lorsque la neige s’installe en hiver, le désert diffuse encore une lueur obscure venue des entrailles de la terre. Il n’y fait jamais totalement nuit.
On les appelle les Terres Bleues.
Le monde s’arrêtait aux Terres Bleues. Un monde tout petit, renfermé sur lui-même, prisonnier du désert sans vie, mais protégé par la forêt de la Ceinture. Sept collines aux pentes douces, couvertes d’arbres vigoureux et de taillis impénétrables, remparts inviolables au-delà des plaines cultivées. Au centre de ce paradis cerné par l’enfer s’étendait la ville : Syrdahar.
Du sommet de la Tour Haute, Solyane contemplait l’horizon bleuté, serrant très fort la main de Dorian lorsqu’un éclat de lumière inondait la roche lointaine d’une lueur aveuglante. Elle avait compris depuis longtemps que Syrdahar n’avait rien à redouter des génies qui vivaient là-bas mais elle frémissait toujours devant leurs impressionnantes manifestations lumineuses. Pourtant, malgré son angoisse, elle aimait ce spectacle dont la beauté irréelle la fascinait. Chaque soir, avant d’aller se coucher, elle montait ainsi sur le chemin de ronde accompagnée de son frère et de sa mère. Elle s’appuyait sur la roche taillée et contemplait le spectacle hallucinant. Jamais elle ne s’en lassait. De la ville montait des parfums épicés, mêlés aux odeurs enivrantes des prés et aux senteurs aquatiques du lac.
Konreydine, le biolamane, lui avait expliqué qu’on ne pouvait se rendre dans les Terres Bleues. Les génies punissaient de mort les audacieux qui auraient osé s’avancer au-delà de la Ceinture. Quelquefois, ils les transformaient en garous qui n’étaient ni des hommes ni des bêtes, mais des monstres à la peau grise, à qui il manquait des membres. Leur tête était énorme, sans lèvres, et leurs doigts se terminaient par des griffes noires. Les paysans disaient qu’on en voyait parfois errer dans les gorges profondes des hautes collines. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, l’horizon s’illuminait du même bleu électrique que tranchaient les ombres noires des forêts. Solyane aimait à voir naître les étoiles, le soir. Elle avait remarqué qu’elle formait toujours les mêmes figures. Certaines brillaient beaucoup tandis que d’autres n’apparaissaient que lorsque l’on ne les regardait pas directement. Elle les appelait les étoiles timides. Elle aurait aimé en cueillir une pour la prendre dans sa main et la conserver dans le secret de sa chambre.
- Ainsi, disait-elle à Dorian, nous n’aurions plus besoin de nos lampes à huile. Elle m’éclairerait toute la nuit.
Au pied de la Tour Haute s’étendait la ville, entourée de ses champs sagement ordonnés, de ses plaines aux chemins bordés d’arbres. En dehors du palais, s’élevaient çà et là quelques demeures plus importantes, réservées aux chevaliers du seigneur Kogan, le père des deux enfants.
Une haute muraille parcourue par un chemin ceinturait la ville. La nuit, les soldats esclaves, les ferroskos, l’arpentaient de leur pas d’automates, sans échanger un mot. Solyane regardait chaque soir ces êtres sans âge et sans âme refermer les portes de la cité. Les vantaux de bronze étaient tellement lourds qu’on ne pouvait manoeuvrer qu’à l’aide d’un treuil. Elle s’était toujours demandé pourquoi on isolait ainsi la ville chaque nuit. Que pouvait-on craindre ? Au-delà des terres fertiles commençait le désert bleue des génies. En dehors de deux petits villages de paysans établis au sud et à l’est de Syrdahar, il n’existait rien d’autre au monde.
Elle avait posé un jour la question à dame Orlyane, sa mère. Celle-ci lui avait répondu que c’était ainsi, que c’était la coutume.
Curieuse coutume, qui lui semblait pour le moins inutile. Mais beaucoup de choses « étaient ainsi » à Syrdahar, sans que l’on sût exactement pourquoi.
Nés du seigneur Kogan et de son épouse, dame Orlyane la Belle, un peu plus de neuf années auparavant, Dorian et Solyane étaient jumeaux. Ils s’étaient éveillés bien plus vite que les autres enfants de Syrdahar. On leur avait réservé deux appartements distincts, mais il était rare de les voir séparés. Ils prenaient leurs repas, leurs bains ensemble et chaque nuit les voyait réunis dans le même lit, indifféremment chez l’un ou chez l’autre.
Pourtant, lorsqu’on les observait, il était difficile de les croire frère et sœur. Solyane était aussi blonde que Dorian était brun. Leurs traits présentaient peu de points communs si ce n’est dans leur beauté et dans leur régularité. La petite fille portait une chevelure lourde et ondulée, couleur de vieil or, qui lui descendait jusqu’aux reins et encadrait son visage enfantin aux yeux couleur de nuit. Fine, admirablement proportionnée, elle rayonnait déjà d’un charme et d’une grâce troublants malgré son jeune âge.
Dorian était plus grand que la moyenne. Robuste, les membres solidement accrochés, il se dégageait de lui une impression de puissance qui explosait lors de l’entraînement aux armes que lui faisait subit tous les jours le maître Rudriko. Des cheveux bouclés d’un brun presque noir lui tombaient sur les épaules. Son regard sombre témoignait d’une volonté implacable que renforçaient une mâchoire carrée et un nez légèrement aquilin.
Grave, consciencieux, et surtout beaucoup plus mûr que son âge, Dorian trouvait chez sa sœur toute la fantaisie qui lui faisait défaut. En retour, il lui apportait le confort de sa solidité, de son esprit de décision.
Il aimait les armes et le combat, elle aimait la musique et la peinture. Tandis qu’il maniait le sabre ou la lance, elle jouait de la thamys, sorte de harpe à vingt-neuf cordes dont elle tirait des mélodies aériennes et cristallines que nul ne pouvait imiter à Syrdahar. Une très grande tendresse unissait le frère et la sœur. Entre eux, les mots se révélaient souvent inutiles. Ils disposaient d’un moyen de communication beaucoup plus puissant.
Les nobles, les chevaliers, se différenciaient des autres, les sapienniens, par le shod’l loer. C’était une faculté mentale qui permettait de deviner l’état d’esprit de son interlocuteur.
Les deux enfants possédaient une forme de shod’l loer beaucoup plus évoluée, la télépathie. Ainsi se transmettaient-ils leurs sentiments et leurs émotions à l’état pur, dégagés de la déformation apportée par les mots.
Syrdahar s’établissait autour d’une surélévation où se dressait le palais seigneurial, dominé par la Tour Haute. Le palais, comme la plus humble des demeures, était bâti de pierre ocre, tirée de la carrière voisine. Aussi le temple se distinguait-il tant par sa roche d’un gris sombre que par son architecture insolite et massive. La population s’y réunissait pour suivre les offices religieux dispensés par la phalange.
Adelfius, le théolamane, était chargé de l’éducation religieuse.
La haute ascétique du prêtre impressionnait les enfants. Hiver comme été, il était vêtu d’une longue robe noire serrée d’une large ceinture d’argent. Un soleil d’or, symbole de son ordre, marquait son épaule droite. Il se dégageait de lui une autorité incontestable que renforçait d’autant son visage à la peau blanche, taillé à coups de serpe.
- A l’origine, disait le prêtre, les dieux vivaient en bonne intelligence avec les humains, les Terres Bleues n’existaient pas alors. Une végétation luxuriante les recouvrait, et ceci bien au-delà de l’horizon.
- Qui étaient ces dieux ? demanda Dorian.
- Nul ne le sait. Il ne reste rien aujourd’hui qui permette de savoir quel était leur aspect, ni d’où ils venaient. La seule chose dont on soit sûr, c’est qu’ils nous ont apporté la Connaissance. Dans leur grande sagesse, ils ont fait bénéficier les hommes des bienfaits qu’elle peut amener. Mais ceux-ci ont cru, dans leur orgueil démesuré, qu’ils seraient capables de contrôler la Connaissance sans l’aide des dieux. Pourtant, il manquait à l’homme une qualité essentielle : la sagesse. Aussi, pour nous punir, les dieux abandonnèrent-ils le monde, nous laissant seuls avec les bribes du savoir que nous leur avions dérobées. Cependant, la Connaissance peut engendrer autant de catastrophes que de bienfaits si elle est mal utilisée. La folie de l’homme amena sa propre destruction dans un embrasement gigantesque que l’on a appelé le jour du soleil. Écoutez bien ce que dit le livre de Thallan :
« Ce fut comme si le soleil lui-même s’était posé sur le monde. Les villes brûlèrent et fondirent. Les hommes furent frappés de folie. Un souffle infernal anéantit les campagnes, bouleversa les plus hautes montagnes. Il n’y eut aucun endroit pour s’abriter. Le feu qui couvait dans les entrailles de la terre remonta et se répandit, enflammant comme des torches jusqu’aux navires les plus éloignés des côtes. L’eau des océans s’enfla et dévasta des pays entiers. Des raz de marée hauts comme des collines emportèrent ceux qui avaient survécu aux flammes.
« L’homme disparut presque totalement de la surface du monde. Les survivants et leurs descendants connurent le chaos. La faim et la misère les ravalèrent peu à peu au rang de bêtes sauvages. La nuit avait étendu ses ailes immenses sur le monde.
«  Puis les dieux prirent les hommes en pitié. Ils leur refusèrent la lumière de leur présence, mais confièrent à certains d’entre eux la tâche de relever la civilisation. À ces privilégiés ils confièrent une partie de la Connaissance dont ils devaient garder les secrets. Ces privilégiés prirent le nom d’amanes. Seuls depuis des temps immémoriaux ils ont eu accès à la Connaissance.
« Ainsi parle le livre de Thallan. »
"A  l'origine, conclut Adelfius, un seul homme reçut des dieux la connaissance.  Il s'appelait Kalkus de Rives. Vous ne devrez jamais oublier son  nom. Il est notre maître à tous depuis plus de vingt siècles.
Ainsi,  seuls les amanes possédaient la connaissance. Le contenu même de  ce mot restait un secret. Seuls les amanes en détenaient les clés.  Konreydine, le biolamane, connaissait les lois sacrées qui permettaient  de fabriquer des produits grâce auxquels on fertilisait la terre.  Ses pouvoirs extraordinaires créaient aussi, par on ne savait quel  magie, des êters terrifiants comme ces monstres que l'on avait parqués  au nord, dans un défilé proche des Terres Bleues.
Féro,  le physiamane, inventait toutes les machines aux mécanisems compliqués,  comme les charrodes, ces plaques portantes qui planaient au-dessus  du sol et se déplaçaient sans roues no patins. Il fabriquait encore  les "gonns", les fusils lectroniques qui complétaient  l'armement des chevaliers.
On  craignait et on respectait SOlimar, le médamane, à l'égal d'Adelfius.  C'était lui qui soignait toutes les maladies étranges, toutes les  blessures graves. Une partie du temple s'appelait l'Hostal. C'était  là que Solimar recevait les malades. Il les gardait parfois plusieurs  jours, assisté dans ses soins par les paranes, jeunes hommes destinés  à la prêtrise. Mais on redoutait aussi Solimar parce qu'il lui incombait  d'accomplir la "spoliation", cette pratique mystérieuse  qui privait l'homme de sa personnalité. De tout temps, Syrdahar  avait compté sa population d'esclaves dont les ancêtres, disait-on,  avaient été amenés par ceux des Syrdahariens. La tradition voulait  que leurs enfants fussent spoliés à leur tour, afin de servir docilement  leurs maîtres.
Le  cinquième prêtre, l'astrolamane Kochine, servait d'intermédiaire  entre la phalange et les dieux. Il ne quittait presque jamais la  tour élevée de l'Obs, d'où il étudiait le ciel nocturne.
Certains  soirs, lors de leurs promenades, les enfants apercevaient les machines  étranges qui hérissaient le dôme de la tour et ils se demandaient  qui étaient ces dieux que personne ne voyait jamais, mais qui hantaient  pourtant toutes les légendes que l'on se plaisait à conter le soir,  autour de la cheminée du palais.

A SUIVRE...

 
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