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LES ENFANTS DU VOLCAN
EXTRAITS
EXTRAITS N°1
Entre Noï-Rah et Sehd s’était nouée une relation qui n’était pas loin de ressembler à de l’amitié. Sehd aimait écouter Noï-Rah lui parler du Village, des champs où l’on faisait pousser des céréales, des prés où l’on élevait les troupeaux.
— Tu veux dire que… vous ne chassez plus ?
— Si ! Les hommes chassent. Mais nous élevons certains animaux. Ils nous fournissent de la viande et du lait.
— Du lait ? Comme celui des femmes ?
— Oui. Les femelles donnent du lait. C’est très bon. Comme ça, même au cours de la saison froide, nous pouvons en boire.
— Mais… comment faites-vous pour le boire ? Vous tétez les animaux ? Beurkh !
Noï-Rah éclata de rire.
— Nous ne tétons pas les animaux ! Nous trayons les femelles et nous recueillons le lait dans des…
Noï-Rah se rendit compte que les Furets ne possédaient aucun mot pour désigner les récipients de terre cuite utilisés par les Fils de Gaenha. Ils n’en connaissaient pas l’usage. Tant bien que mal, elle tenta d’expliquer à Sehd ce qu’était une poterie.
— Je crois que j’en ai déjà vus à l’assemblée des Rheuns, répondit la petite.
— L’assemblée des Rheuns ?
— C’est là que se réunissent les tribus au début de la saison des feuilles vertes. C’est pour ça que nous emmagasinons autant de fourrures. Nous les troquons contre d’autres objets.
L’hiver passa ainsi, rigoureux, épuisant. Cependant, grâce à la prévoyance de la tribu qui avait engrangé assez de provisions, seules deux vieilles personnes et trois enfants en bas âge moururent de faim. Noï-Rah, pâle et amaigrie, avait vaillamment résisté. Fid’hur avait veillé lui-même à ce qu’elle ne manquât de rien. Les Furets n’avaient pas les moyens de perdre leur seule esclave.
Enfin, un matin, des parfums nouveaux envahirent l’air glacial. Le printemps était de retour. Une grande agitation s’était emparée du camp. On allait bientôt repartir.
EXTRAIT N°2
Dès le lendemain, à l’aube, une main vigoureuse secoua Noï-Rah. Elle avait dormi profondément, d’un sommeil sans rêve, près d’un foyer dont les braises lui avaient longtemps tenu chaud.
— Allez, petite, dit la voix d’Ar’ham, il est temps de partir.
Elle constata qu’il l’avait recouverte d’une peau d’ours pendant la nuit. Un sentiment de grande quiétude l’envahit. Son père lui-même n’avait jamais pris autant soin d’elle. Et après les quelques mois passés en compagnie des Furets, cette attention l’emplit de gratitude envers son nouveau maître, puisqu’il fallait bien l’appeler ainsi, même s’il avait affirmé le contraire la veille.
Peu désireuse de s’extirper immédiatement de la douce tiédeur de la fourrure d’ours, elle se pelotonna, feignant de n’être pas encore bien réveillée, ce qui n’était pas le cas. La vie au milieu des Furets l’avait amenée à demeurer sans cesse sur le qui-vive, pour éviter les coups de pied de Roo’men ou des autres.
Ar’ham eut un léger sourire devant sa réaction, puis commença à entasser ses affaires sur le travois qu’il avait préparé la veille. Noï-Rah l’observa du coin de l’œil. Les gestes de l’homme étaient souples, mesurés, légers et efficaces. Sous ses doigts, les objets ne se heurtaient pas. Il semblait prendre un soin particulier de chacun, comme s’il avait été infiniment précieux. Il se dégageait de ses mouvements une harmonie, une fluidité et une puissance que l’on voyait aux félins. Il était capable de soulever des charges lourdes sans à-coups, apparemment sans efforts, comme s’il faisait corps avec ce qui l’entourait. Une vive émotion pénétra peu à peu la fillette. Il y avait en Ar’ham un mélange de force et de douceur qui se traduisait dans ses gestes, et dans son regard à la fois ferme et attentif. Elle ne savait pas ce que la vie lui réservait à présent, mais elle était sûre d’une chose : elle avait envie de rester près de cet homme. Elle se sentait bien à ses côtés.
Soudain, elle prit conscience qu’elle le laissait seul préparer leur voyage. Rouge de honte, elle rejeta la peau d’ours et se leva, l’esprit confus.
— Une bête t’a piquée ? demanda-t-il, amusé.
Elle rougit encore plus.
— Que puis-je faire, Ar’ham ?
Le sourire espiègle de l’homme éclaira à nouveau son visage, confirmant qu’il n’avait pas été dupe de son petit manège.
— D’abord, change de vêtements ! répondit-il en désignant la fourrure en ruines qu’elle conservait de son séjour chez les furets.
— Mais je n’ai rien d’autre !
Il fourragea dans ses ballots et en extirpa une superbe robe de lin ornée de lanières de cuir et de petites pierres ambrées translucides. Jamais Noï-Rah n’en avait vu d’aussi belle, même au Village. Ar’ham examina le vêtement avec attention, le plaça devant Noï-Rah embarrassée.
— Elle devrait t’aller, dit-il enfin.
Puis il lui tendit la robe.
— Elle est … pour moi ?
— Je le pense. Les pierres sont assorties à tes cheveux. Ce sont les dieux qui ont dû me guider lorsque je l’ai troquée. Ils devaient savoir que je te rencontrerais.
Timidement, elle prit la robe. Elle retrouva avec un plaisir évident la douceur et la souplesse du lin sous ses doigts, lissa de la main la forme de la robe, et adressa un sourire radieux à son compagnon.
— Merci, dit-elle.
Puis, sans plus de façon, elle arracha les guenilles qui la vêtaient depuis plusieurs lunes, sentit sa peau la fraîcheur du matin, et s’apprêta à passer la robe. Mais, au dernier moment, elle hésita. Elle leva des yeux affolés vers Ar’ham.
— Je ne suis pas propre, gémit-elle, gênée. Je voudrais prendre un bain avant.
Ar’ham éclata de rire.
— Mais bien sûr ! répondit-il enfin. Si j’avais encore un doute sur ton origine, tu viens de le dissiper. Seuls les Pekhes sont ainsi obsédés par la propreté.
Interloquée, elle ne sut que répondre.
— Tu sais, ici, dit-il, les chasseurs ne sont guère embarrassés par les bains. Ils aiment les odeurs fortes comme la chair des animaux qu’ils laissent faisander avant de les manger. Les Pekhes sont plus sensibles à la propreté. J’ai eu peine à comprendre pourquoi. Et puis, je les ai aidés un été à récolter l’épeautre et le seigle. Le soir, j’avais la peau couverte de poussière. Et cela me piquait. C’était très désagréable. Alors, je les ai suivis quand ils ont pris un bain dans la rivière. Cela m’a fait beaucoup de bien. Je me suis senti renaître. Depuis, j’ai pris l’habitude de me laver souvent, moi aussi.
Noï-Rah comprit alors pourquoi il était différent des autres Ours noirs. A l’inverse de Rogh et de ses compagnons, il ne dégageait pas un fumet désagréable de viande avariée.
— Va vite prendre ton bain. Je vais finir de charger le travois.
Noï-Rah repassa ses guenilles, prit sa robe et se dirigea vers le lac proche. A cette heure matinale, il n’y avait encore personne dans le vaste campement. Cela convenait parfaitement à la fillette. Elle n’avait guère envie de tomber sur un Ours noir. Il faisait frais en cette matinée de printemps. Une brume translucide diffusait la lumière rasante du soleil naissant, dans laquelle dansaient des insectes. Les montagnes lointaines semblaient un rêve inaccessible posé sur les nuées lumineuses.
Noï-Rah rejeta ses vieilles hardes et se glissa dans l’eau, frissonnant de plaisir sous la morsure froide du liquide. Comme tous ceux du Village, elle avait appris à ramper sur l’eau, à maintenir la tête sous la surface, ce qui avait stupéfait la petite Sehd, à qui la rivière inspirait une crainte maladive. Elle soupçonnait, sous les eaux glauques, la présence de créatures terrifiantes, prêtes à l’entraîner au fond pour la noyer et la dévorer.
Ouvrant les yeux sous l’eau un peu trouble, Noï-Rah distingua les ombres vives de poissons qui s’enfuyaient à son approche, et disparaissaient dans les hautes herbes ondoyantes. Elle serait bien restée ainsi à les pourchasser, mais elle ne devait pas faire attendre Ar’ham. A regret, elle jaillit de l’onde et se dirigea vers l’endroit où elle avait laissé ses vêtements.
Ce fut alors qu’un malaise indéfinissable la saisit. Elle jeta un coup d’œil circulaire, affolée. Elle ne portait strictement rien sur elle et l’eau ruisselant sur son corps juvénile dessinait des îles éphémères et mouvantes. Elle frémit de peur. Elle connaissait assez la vie pour savoir que certains hommes n’hésitaient pas à forcer les fillettes de son âge. Elle se mit à courir. Sa robe était toujours là. Elle s’en empara.
Au même moment, une silhouette lourde apparut dans les sous-bois proches et se dirigea vers elle d’un pas vif. Noï-Rah poussa un cri de détresse, et, sans prendre le temps de se vêtir, se mit à galoper vers la hutte d’Ar’ham. Pendant quelques secondes, un halètement rauque se fit entendre dans son dos et il lui sembla percevoir la chaleur de son haleine sur sa nuque. Portée par une peur panique, elle accéléra. Arrivée près d’Ar’ham, le souffle court, elle se jeta dans ses bras en hoquetant.
— Qu’est-ce qui t’arrive, ma belle ? demanda-t-il. On dirait que tu as vu un mauvais esprit.
Elle se retourna en tremblant… et constata qu’il n’y avait personne.
— Un homme m’a suivie, gémit-elle. Il courait derrière moi, j’en suis sûre.
— Je ne vois rien, objecta le chasseur.
— Je n’ai pas rêvé, Ar’ham. Il était là. Il me voulait du mal.
Elle crut qu’il allait se moquer d’elle, mais il n’en fit rien. Au contraire, son visage était devenu grave. Il fit quelques pas en direction du lac. Malheureusement, les brumes stagnantes et la végétation abondante ne permettaient pas de voir bien loin. Il revint vers elle, les sourcils froncés par l’inquiétude.
— C’est ma faute, dit-il enfin. Je n’aurais pas dû te laisser partir seule. Je ne pensais pas…
Il ne termina pas sa phrase. Noï-Rah comprit qu’il avait une idée des intentions de son agresseur. Des intentions qui n’avaient pas forcément de rapport avec les désirs ignobles de certains individus. Un autre point l’effrayait. Malgré la distance, si elle n’avait pas vu nettement les traits de son poursuivant, elle s’était rendu compte, à ses tresses liées par des nœuds de cuir, qu’elle avait affaire à un Ours noir. Un Ours noir qui portait à la main une hache de silex, comme celles avec lesquelles on attaquait les grands fauves.
— Il voulait me tuer, n’est-ce pas ? dit-elle.
Ar’ham secoua la tête, puis la regarda longuement.
— Peut-être, je ne sais pas, dit-il enfin.
— C’était un Ours noir, comme toi. J’ai vu sa coiffure.
Ar’ham ne répondit pas.
— Pourquoi ? insista-t-elle. Pourquoi les Ours noirs voudraient-ils me tuer ?
— Certains chasseurs de ma tribu n’aiment pas les cheveux roux. Ils en ont peur. C’est une couleur sacrée, la couleur des dieux du feu. En principe, elle te protège….
Il hésita, puis ajouta :
— Mais il vaudrait mieux que tu ne t’éloignes pas trop de moi.
EXTRAIT N°3
Le matin suivant, Ar’ham redescendit dans la ravine, suivi par une Noï-Rah un peu inquiète. Ils retrouvèrent très vite le sentier taillé dans la déclivité, puis l’anfractuosité.
— Regarde le chemin, dit le chasseur. Il s’arrête juste devant la grotte et ne se poursuit pas au-delà. Cela veut dire que des hommes l’ont tracé pour venir à cet endroit précis. Et cela s’est passé il y a bien longtemps, ajouta-t-il, car cet éboulement est ancien.
— Ne crois-tu pas qu’il pourrait s’agir de la demeure d’un esprit ? s’inquiéta Noï-Rah.
— C’est possible. Mais je pense plutôt que cette grotte a jadis servi d’abri à une tribu.
Après quelques efforts, ils parvinrent à dégager l’entrée. Puis, munis de torches, ils se risquèrent dans la galerie qui s’amorçait. Celle-ci était relativement sèche, malgré l’humidité qui régnait à l’extérieur. Ar’ham n’avait pas voulu dire ce qu’il avait aperçu la veille, et qui lui semblait inimaginable. D’ailleurs peut-être avait-il été trompé par la pénombre. Mais, très vite, à un détour de la galerie, il retrouva ce qu’il avait entrevu.
Sur la paroi se dessinait nettement la forme d’un animal inconnu, armé de deux longues défenses recourbées. Autour de lui, des silhouettes stylisées symbolisant des êtres humains brandissant des lances et des propulseurs semblaient exécuter une sorte de danse rituelle. Noï-Rah s’approcha, stupéfaite.
— Qui sont ces gens ? demanda-t-elle.
— Peut-être nos ancêtres, répondit Ar’ham, éberlué. Regarde, il y en a d’autres.
Vivement émus, ils s’avancèrent. Peu à peu, la caverne s’agrandissait, et sur toutes les parois s’étalaient des dessins étranges, aux couleurs ocre, rouges, noires et blanches, qui représentaient des scènes de chasse, parfois des rituels incompréhensibles. Les formes plus rondes de certains personnages suggéraient qu’il s’agissait de femmes portant des enfants. Ils reconnurent également des cerfs, des aurochs, des sangliers, des bisons, des félins. Certains animaux en revanche leur étaient totalement inconnus.
— Regarde ceux-ci, murmura la fillette. On dirait qu’ils ont une cinquième patte qui leur pousse à la place du nez. Et leurs cornes sont bien plus longues que celles des aurochs. Qu’est-ce que c’est, Ar’ham ?
— Je ne sais pas, ma renarde. Je n’en ai jamais vus de semblables.
— Ils devaient être gigantesques. Les hommes sont tout petits à côté d’eux.
Ils restèrent un long moment à admirer les peintures. En certains endroits, des marques de mains aux doigts écartés ou joints ornaient la pierre. Une grande émotion les tenait tous deux. Des hommes avaient vécu dans ces lieux. Ils avaient laissé ces dessins, comme un témoignage. Mais qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? Qu’étaient-ils devenus ?
Ar’ham observa le sol. Un élément l’intrigua. Il était probable que cette caverne avait été occupée pendant une période assez longue. Or, le sol ne comportait aucun objet, aucun reste d’arme ou d’outils.
— Je ne crois pas qu’ils aient vécu dans cette caverne dit-il enfin. Il y aurait des traces de leur passage, des ossements, des objets. Il n’y a rien. De plus, cet endroit est difficile d’accès. Ils ne devaient y venir que rarement, pour tracer ces dessins sur les parois.
— Pourquoi faisaient-ils ça ?
— Je l’ignore. Peut-être accomplissaient-ils là des rituels destinés à attirer sur eux la bienveillance des esprits, afin qu’ils leur soient favorables pour la chasse.
Noï-Rah était bouleversée.
— Nous ne savons pas faire des peintures comme celles-ci, dit-elle. Ces gens connaissaient plus de choses que nous.
Ils poursuivirent leur exploration. La caverne s’enfonçait assez loin dans les entrailles de la terre. Parfois, elle se resserrait, parfois, elle s’élargissait en une salle plus vaste. Ce fut dans la dernière qu’ils firent deux nouvelles découvertes. Deux rochers aux formes étonnantes attirèrent leur attention. Stupéfaits, ils reconnurent des bisons sculptés étonnants de réalisme. Ils s’approchèrent, vivement émus, et caressèrent les animaux pétrifiés.
D’autres peintures rupestres s’étalaient sur les parois. Soudain, dans un recoin de la salle, Noï-Rah remarqua des pierres sur lesquelles subsistaient des sortes de poudres de différentes couleurs : les pigments qui avaient servi à réaliser ces motifs magnifiques. Intriguée, elle s’agenouilla. Il y avait là quatre couleurs différentes, une noire, une rouge, une grise et une blanche. Elle plongea ses doigts dans la noire, puis traça une ligne de faible longueur sur un rocher. La couleur s’inscrivit dans la pierre.
Avec mille précautions, elle glissa dans les poches de sa veste de peau des échantillons des quatre poudres.
La nuit suivante, Noï-Rah eut quelque peine à s’endormir. Les peintures de la caverne ne cessaient de la hanter. Pour une raison qu’elle ne pouvait clairement expliquer, elle faisait le rapprochement avec les empreintes laissées par les animaux. Les Anciens les représentaient par des dessins. Mais, en utilisant les poudres, il était aussi possible de les symboliser par leurs marques au sol. Des signes simples pour définir des choses plus compliquées...
Poursuivant son raisonnement, elle se dit que l’on pouvait appliquer le même principe pour beaucoup d’autres objets, et même pour les humains. Son esprit travaillait très vite, imaginant les signes de base, créant mentalement des combinaisons, comparant, analysant. Il devait aussi être possible de représenter les nombres.
Elle resta ainsi éveillée une bonne partie de la nuit. Mais, devant le nombre de signes qu’elle devait inventer, elle finit par sombrer dans un sommeil agité.
Le lendemain, elle s’éveilla très tôt, excitée par les idées qui avaient continué de la hanter pendant qu’elle dormait. Ar’ham remarqua aussitôt qu’elle n’était pas dans son état normal.
— Eh bien, que se passe-t-il, ma renarde ?
— Je n’arrête pas de penser aux peintures de la grotte. Et j’ai eu une idée.
— Explique-moi !
Elle prit un bâton, s’accroupit, et traça sur le sol les empreintes de différents animaux, fouine, loup, sanglier, chevreuil, ours, blaireaux, et même les marques légères des oiseaux piégées sur les rivages limoneux des berges. A chaque fois elle demandait le nom de leur propriétaire à Ar’ham. La fébrilité de sa jeune compagne amusait le chasseur.
— Tu sais, je les connais bien, dit-il. C’est moi qui te les ai enseignées.
Elle le regarda en fronçant les sourcils.
— N’as-tu pas remarqué une chose ?
— Laquelle ?
— Toutes ces empreintes sont différentes.
— Bien sûr. C’est pour ça que nous pouvons reconnaître les animaux auxquels elles appartiennent.
— Si nous pouvions les dessiner, on pourrait ainsi désigner chaque animal par son empreinte.
— Je ne vois pas quel intérêt…
Elle leva la main pour le faire taire.
— Il faudrait le faire sur un support léger, comme de la peau, ou autre chose ; on pourrait représenter ces animaux par des signes simples, mais aussi inventer d’autres signes qui désigneraient les hommes, les femmes, les enfants, les objets, les maisons, le ciel, les arbres, les plantes.
— Pourquoi ferions-nous ça ?
— Pour transmettre des messages !
— Quels messages ?
— Imagine que les chasseurs découvrent un troupeau important de cerfs. Mais ils ne sont pas assez nombreux. Il leur faut du renfort. Ils dessinent alors sur un morceau de peau le nombre de chasseurs nécessaires et le genre d’animal qu’ils traquent.
— Avec quoi dessineront-ils ton message ?
Elle sortit triomphalement de ses poches les échantillons de poudre qu’elle avait collectés.
— Avec ça !
Ar’ham haussa les épaules.
— Il est beaucoup plus simple d’envoyer un messager, rétorqua Ar’ham.
Noï-Rah lui jeta un regard d’incompréhension. Puis une vive déception s’empara d’elle. Il avait raison. Ces signes compliqueraient les choses inutilement. Elle en aurait pleuré. Son idée était pourtant bonne. Elle en était sûre. Il devait y avoir autre chose… Et soudain, elle s’illumina.
— Un message peut être très long. Si le messager en oublie la moitié, l’autre moitié sera perdue. Alors, qu’un message tracé avec des signes sera transmis en totalité.
— C’est vrai, mais il y a un autre problème, objecta le chasseur. Il faut que l’homme qui recevra le message soit capable de comprendre ce qu’il dit, et donc qu’il connaisse, lui aussi, les signes inscrits sur ton morceau de peau.
— Il pourrait les apprendre, suggéra-t-elle d’une voix altérée. Les hommes de la caverne savaient tous ce que signifiaient les dessins.
— Ils représentaient des animaux. Nous aussi, nous les avons reconnus. Ton idée est différente. Tu veux faire correspondre un signe précis à chaque animal, chaque objet, chaque homme, chaque femme. Te rends-tu compte du nombre de signes différents qu’il te faudrait créer et enseigner aux autres ? Sans compter le nombre d’animaux abattus simplement pour qu’ils nous fournissent leur peau ?
Noï-Rah secoua la tête, puis éclata en sanglots. Ar’ham comprit qu’elle était recrue de fatigue, et s’en voulut d’avoir tué son rêve. Il la prit contre lui.
— Pardonne-moi, ma petite renarde. Je ne voulais pas te faire de mal. Ton idée est peut-être bonne. Et on peut sans doute apporter des solutions à ces difficultés. Mais il faudrait d’abord aller plus loin, trouver une vraie utilité à une telle invention. Nous allons chercher. Tous les deux.
Elle renifla et lui sourit à travers ses larmes.
— Nous allons trouver, affirma-t-elle.