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LA CHEVALERIE


Dans les premiers temps de l'ère amanite, la direction des cités gagnées à la religion fut assurée par les prêtres eux-mêmes. Mais Kalkus de Rives estimait que leur rôle ne consistait pas à conserver ce pouvoir. Par croisements génétiques, les scientifiques amanites firent apparaître une race humaine nouvelle, espérant que celle-ci se révélerait mieux à même de prendre son destin en main que celle des sapienniens, qui avait succédé à l'homo sapiens de la civilisation antique.
La race ainsi créée fut baptisée noble et destinée à remplacer les prêtres dans le gouvernement des cités. Toujours par manipulation génétique, les nobles furent hiérarchisés, suivant une échelle correspondant au système féodal qu'ils avaient mis en place. Ainsi apparurent les Empereurs, les Rois, les Comtes, et les Barons. Le système de vassalité institué par les amanes n'avait que peu de rapport avec celui du Moyen-Âge du monde des Anciens. La féodalité médiévale était basée sur la vassalité envers un homme, qu'il fût comte, baron ou roi. Celle des amanes se fondait sur la fidélité envers une cité. Les nobles placés à la tête des cités par les amanes devaient se dévouer corps et âme à son gouvernement avec justice et esprit d'entreprise. Ils appartenaient à la ville et à son peuple, et non l'inverse.
Dans les premiers temps, le système fonctionna efficacement. Au niveau des empereurs et des rois, la transmission du gouvernement se faisait par héritage, toujours en raison des manipulations génétiques des prêtres qui cherchaient à améliorer l'espèce humaine. Au niveau des comtes et des barons, c'était le principe de l'élection qui l'emportait. Cependant, bien souvent, la succession se faisait par filiation, les seigneurs régnant agissant de sorte à favoriser leurs héritiers.
Les amanes n'obtinrent pas les résultats escomptés. De nombreux nobles, en possession du pouvoir, ne l'exerçaient pas de la manière souhaitée par les prêtres. Le système imaginé par Kalkus de Rives reposait sur un mélange insolite de démocratie et de monarchie. Les décisions importantes étaient prises en accord avec les représentants élus de la population, au cours de conseils tenus régulièrement tous les mois. Les princes régnants, quels que fussent leur rang avaient, selon l’esprit de Kalkus de Rives, une fonction d’arbitre suprême, dont le rôle consistait à prendre les décisions en cas de litige. Il supposait, de la part de ces princes, une certaine sagesse que les amanes devaient leur inculquer. La longévité de leur règne devait favoriser le suivi des projets à long terme, tout en évitant les problèmes posés par les élections trop fréquentes qui constituaient la tare essentielle des différents systèmes démocratiques.
Malheureusement, malgré leurs efforts, les amanes n’obtinrent pas le résultat escomptés. Dans de nombreux cas, les nobles utilisaient leurs facultés supérieures dans un esprit de domination et non de protection. On envisagea alors de revenir à un système démocratique total. Mais celui-ci, de par la nature même de l’homme comportait de nombreuses faiblesses, engendrant de lui-même un découpage de la société en classes et en groupes politiques ou religieux.
Les amanes décidèrent donc de maintenir des gouvernements de type féodal tout en développant les prérogatives des différentes classes sociales, mais aussi en créant une nouvelle caste parmi les nobles. Empruntant à leur propre système éducatif ses principes les plus importants, ils créèrent alors la Chevalerie. Peu à peu, les Chevaliers remplacèrent les souverains en place. Deux siècles plus tard, les Amanes avaient atteint leur objectif.
Les Chevaliers se recrutent exclusivement parmi la race noble, celle-ci étant en effet seule dotée de ce pouvoir mental étrange que l'on appelle le shod'l loer, le pouvoir de l'âme, faculté qui permet de ressentir les pensées d'un interlocuteur.
Vers l'âge de 18 ans, les bacheliers, les aspirants à la chevalerie, subissent une épreuve redoutable, l'Eschola. Celle-ci consiste en une série d'épreuves faisant appel aux qualités de résistance mentales et physiques, et l'humilité devant l'adversité. Un chevalier doit savoir parfaitement estimer ses propres limites.
LES EPREUVES
L’Aiguade
Elle consiste en un bain d'eau froide, destiné à purifier le corps. Ensuite, les bacheliers passent un vêtement de lin brut, le tolbe, qui constitue leur seul vêtement pendant la durée de l'Eschola.
L’Astina
Les bacheliers doivent prouver leur résistance à la faim et la soif en demeurant enfermés pendant plusieurs jours sans eau et sans nourriture. Ils disposent, à portée de main, d’une corde leur permettant d’interrompre l’épreuve à tout moment. Ils ne savent cependant pas combien de temps ils doivent résister pour franchir l’épreuve avec succès.
La Sagitta
Elle repose sur la résistance à la douleur. Elle est aussi une épreuve d'humilité, qui implique qu'un homme doit savoir estimer ses propres limites. Les amanes enfoncent, dans un ordre précis, des aiguilles ressemblant à celles que l’on utilise en acuponcture, en différents endroits du corps du bachelier. Au bout d’un certain nombre d’aiguilles, la douleur apparaît. Chaque aiguille ajoutée ensuite augmente cette douleur. Il faut dépasser un certain nombre d’aiguilles pour triompher. Mais, au-delà d’un certain seuil, l’implantation des aiguilles devient mortelle. Les bacheliers ne connaissent aucun de ces nombres fatidiques. C’est pourquoi il doit être capable d’estimer ses propres limites et arrêter l’épreuve dès qu’il sent qu’il les a atteintes.
Les épreuves martiales
Elles consistent en une série de combats destinés à estimer la maîtrise des armes. Les bacheliers encore en course franchissent en général cette épreuve sans aucune difficulté.
L’épreuve finale
L'Eschola est couronnée par l'apprivoisement (et non la capture) d'un lionorse sauvage. Seuls les hommes nobles peuvent approcher les troupeaux de lionorses, seuls animaux dotés, comme eux, du shod'l loer.
Ces épreuves reposent toutes sur le principe de l'humilité, qui veut qu'un bachelier peut à tout moment arrêter une épreuve s'il ne se sent pas en mesure de triompher. Malheureusement, nombre d'entre eux, par orgueil, refusent d'admettre leur échec, et leur obstination les conduit souvent à la mort. S'il se dégage une certaine cruauté de cette Eschola, qui chaque année coûte la vie à des milliers de jeunes gens dans le monde, cette cruauté est nécessaire. Car elle est la preuve que l'exercice du pouvoir ne peut se faire qu'avec un esprit humble et la conscience parfaite de ses propres limites. Les Chevaliers n'oublient jamais les enseignements terribles de l'Eschola, et demeurent soudés entre eux par son esprit, concrétisé par un livre qui revêt pour eux un caractère sacré, l'Eythim, sorte de code d'honneur de la Chevalerie. Ce code repose sur sept grands principes que tous ont à coeur de respecter et de faire respecter.
Ces règles sont :
premiere regle : Le chevalier obéira aux lois sacrées et les fera respecter. Il ignorera la peur et la lâcheté. Il ne commettra ni crime, ni action basse, ni trahison.
deuxieme regle : le titre de chevalier fait d'un noble l'égal d'un roi ou d'un empereur. Ceux-ci lui réserveront toujours hospitalité et assistance. Le peuple subviendra à ses besoins. En contrepartie, il jure sur son honneur de le défendre contre tout ennemi quel qu'il soit, jusqu'à la mort s'il le faut.
troisieme regle : Quand bien même le sort l'amènerait à une destinée élevée et couronnée par la gloire, le chevalier n'oubliera jamais qu'il reste un homme destiné à retourner à la poussière dont il est issu.
quatrieme regle : en cas de guerre, le chevalier assumera la responsabilité de la vie des guerriers qui lui seront confiés, ne les exposera pas inutilement et veillera à leur fournir armes et viandes (au sens ancien du terme, c'est à dire, la nourriture nécessaire à la vie).
cinquieme regle : le chevalier respectera toute femme, de quelque condition qu'elle soit, n'attentera ni à sa personne ni à ses biens, et la défendra contre ses ennemis.
sixieme regle : l'honneur du chevalier ne s'appliquera pas à sa propre personne. Sa valeur ne saurait en aucun cas lui servir à vider une querelle personnelle. Sa vie appartiendra au suzerain qu'il se sera librement choisi, et au peuple gouverné par ce suzerain.
septieme regle : le chevalier qui violera ces règles sera immédiatement déchu de son titre et de ses droits. Parce qu'il aura souillé l'honneur de la chevalerie, il sera confié au jugement de ses pairs qui prendront contre lui les sanctions qu'ils estimeront justes, celles-ci pouvant aller jusqu'à la mort.

Comme on peut le voir, la grande idée qui se dégage de ces règles est l'humilité. Au fur et à mesure que les chevaliers remplaçaient les anciens souverains, les difficultés diminuèrent de manière notable. Les chevaliers, conscients de leur rôle, n'exerçaient pas le pouvoir pour en profiter comme le faisaient leurs prédécesseurs. Cependant, la nature humaine elle-même étant loin d'être parfaite, il subsista de nombreux problèmes devant lesquels les amanes se révélèrent impuissants. Ainsi, ils ne purent éviter les guerres de se poursuivre entre royaumes, voire entre empires dans certains cas. Malgré tout, ils parvinrent à les contrôler et à les endiguer.

Les amanes incitèrent également certains chevaliers à voyager. En effet, les antagonismes entre les peuples étant bien souvent dus à un manque de compréhension mutuelle, ils estimèrent que les échanges à haut niveau, entre chevaliers, pourraient amener des solutions pacifiques à des problèmes qui autrefois auraient débouché sur un conflit. Encore une fois cette décision connut un succès relatif. Des chevaliers ayant voyagé hésitaient plus à attaquer un voisin qu'ils connaissaient personnellement.
On peut donc dire que la Chevalerie a contribué à diminuer le nombre des guerres, sans toutefois les supprimer en totalité. Quelquefois, des hommes comme le roi d'Ismalasia, le cruel Hadgar del Tihiz, parvinrent au titre de chevalier. Le plus souvent de tels aberrations proviennent de religions antiques encore solidement implantées dans certains royaumes, et dont l'influence concurrence la religion amanite elle-même. Ce fut le cas en Ismalasia. C'est encore le cas en Cathasia, ou l'empereur Genge Yen Fong exerce un pouvoir absolu sur ses sujets. La religion amanite n'est pas aussi puissante dans cet empire qu'elle ne l'est ailleurs. Mais elle sait que le temps parlera en sa faveur. De plus, la mentalité de certains peuples s'accommode de cette sorte de pouvoir, qu'ils connaissent depuis des temps immémoriaux.

 
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